Quand on pense à The Cars, on a en tête la gueule de Ric Ocasek, impassible derrière ses verres fumées…tellement qu’on en oublie l’apport indispensable de son discret, mais précieux acolyte bassiste Benjamin Orr qui a aussi chanté entre autres sur Drive, Just What I Needed, Movin’ On Stereo et Let’s Go!.
L’auteur Joe Milliken rectifie le tir en consacrant une bio à ce charmant personnage mort en 2000 à 53 ans.
Héros de l’Ohio
Né en 1947, Benjamin Orr — Benjamin Orzechowski de son vrai nom — a connu la belle époque des groupes garages des années 60. Il a lui-même joué dans The Cyclones, The Grasshoppers et The Mixed Emotions. Ces derniers se sont fait connaître en tant que vedettes locales dans les environs de son Cleveland natal et à la grandeur de l’Ohio.
Benjamin Orr fait figure de late bloomer (Ocasek aussi tant qu’à ça) car il ne connaîtra le succès avec les Cars qu’à la sortie du premier album en 1978 alors qu’il avait 30 ans. D’ailleurs, la rencontre avec le grand gaillard dix ans plus tôt sera déterminante pour Benjamin Orr. De ville en ville, ils vont tenter de vivre de leur musique à tout prix. Et le prix était parfois élevé avant la reconnaissance.
Avant de s’établir à Boston, ils ont vogué du côté de Détroit où ils ont fait la connaissance de John Sinclair, singulier poète révolutionnaire, mais aussi, accessoirement, gérant des MC5. Le quintette d’Ocasek et Orr, Leather Wood, va même assurer les premières parties de ces mêmes MC5 et aussi d’Amboy Dukes, The Stooges et Alice Cooper.
Avant d’adopter la sonorité typique des Cars — un mélange de mélodies pop, de riff rock et un soupçon d’électro dans les rythmes — les deux comparses vont farfouiller musicalement du côté du folk et des harmonies.
Mais Ocasek va retenir quelques leçons lors de sa découverte du Velvet, Roxy Music, Suicide. Même que les deux compères vont aussi galérer du côté l’underground new-yorkais des années 70, soit les lieux cultes du CBGB’s et le Max’s Kansas City. Exit les l’approche post-hippie des guitares en terres cuites et place à la concision dans la structure des pièces.
Une fois installés à Boston en 1972, ils font connaissance avec Jonathan Richman des Modern Lovers. Le batteur de ces derniers, David Robinson, va même rejoindre les Cars dès leurs débuts.
Dans la biographie Let’s Go! Benjamin Orr and The Cars, on découvre un personnage parfois un peu effacé, mais dont le charisme ne laisse personne indifférent. Ce côté un peu plus en retrait n’est certainement pas étranger au fait que l’image du groupe deviendra vite indissociable de celle d’Ocasek.
On demeure loin du récit d’autodestruction d’une vedette rock déchue par l’héroïne. Même s’il a joué les party animals quand la carrière des Cars a sérieusement décollé, il n’a jamais snobé ses proches.
Joe Milliken évite tout sensationnalisme pour se concentrer sur la musique. Il explore chaque album en recueillant ici et là des anecdotes de studio ou de tournages. Ainsi, on apprend que Drive devait se retrouver sur l’album solo de Ric Ocasek, qu’Andy Warhol a réalisé le clip de Hello Again tout en bonifiant le tout d’un caméo, que Benjamin Orr lui-même était passé maître dans l’art du one-take.
En 1986, Benjamin Orr tente l’aventure en solo même si son groupe n’avait pas officiellement mis la clé dans la porte avec l’album un peu oublié The Lace.
La chronologie du récit dévoile bien l’évolution des Cars, album par album. Ainsi, on ressent bien une certaine lassitude de part et d’autre chez les membres du groupe autour de 1987 à la sortie de l’album Door To Door. Les gars ne voyageaient même plus ensemble pour se rendre au studio ou à une salle de concert.
Milliken s’adresse aux vrais mélomanes qui ne s’attardent pas qu’au drama des vedettes.
Même si le focus tourne autour de la musique, Milliken glisse un témoignage personnel de Judith Orr, ex-compagne du bassiste-chanteur, qui renferme bien sûr une valeur ajoutée aux lecteurs de chez nous:
We loved to take road trips and stop in all the little stores in Vermont and New Hampshire, and we especially loved French Canada. Once we got snowed in while in Quebec City, one of the most romantics cities in the world. We thought Quebec City and Montreal were pure magic, and went there a few times at Christmas.
Let’s Go! - Benjamin Orr and The Cars, par Joe Milliken. Éditions Rowman & Littlefield